Maître prend la parole (partie 2)

Comme promis, voici la partie 2 de l'interview avec Maître !

 Y a t-il des pratiques autant du côté SM que transfert d'autorité auxquelles vous ne pensiez jamais toucher mais que vous pratiquez à ce jour ? D'autres qui vous attiraient mais qui s'avèrent moins intéressantes que prévu ?

Les bougies étaient une déception. Même en les rapprochant autant que possible de la peau, ce n'est pas assez violent ou douloureux et en plus il faut nettoyer. De manière générale, tout ce qui  est sensuel ne m'attire pas non plus. Le martinet est devenu un instrument que j'utilise assez peu. Lorsque j'ai débuté dans le BDSM, la cravache était de loin mon instrument préféré. Maintenant ça fait des années que je n'en ai plus et ce n'est pas très grave. Je trouve toujours l'objet satisfaisant à utiliser, mais depuis que j'ai brisé ma première cravache nommée "La douce" sur les fesses de Jude, je n'ai jamais trouvé de cravache qui la remplace aussi bien. Je ne peux plus racheter le même modèle car je ne le retrouve plus et toutes les cravaches que j'ai achetées depuis ont été brisées presque immédiatement ou ne sont pas aussi satisfaisantes à manier. J'ai longtemps pensé que ça resterait dans mes pratiques préférées mais au final non.
Par contre, pour ce qui est des pratiques auxquelles je n'aurais pas pensé toucher et qui font partie de ma vie aujourd'hui : les dark dynamics. J'étais attiré par les pratiques de CNC mais c'était plus du domaine du fantasme. Je ne pensais jamais arriver à un niveau de confiance et de relationnel qui me permette de vivre ça. Je ne pensais pas non plus un jour être ouvert à la sexualité et à la D/s occasionnelle avec d'autres personnes que ma propriété. Je me croyais complètement monogame à la base, mais la confiance et le pouvoir que j'ai acquis dans cette relation ont fait évoluer ma mentalité sur certains points.

Comment gérez-vous la peur d'aller trop loin ou de commettre des erreurs sur le plan du SM physique ou mental ?

C'est de l'analyse de risques, tout simplement. Est-ce que j'accepte le risque tel quel ? Est-ce que je le refuse ? Est-ce que je le mitige ? Disons que je veux entreprendre une action A, elle est risquée, je vais donc mettre en place une contre-mesure C. Le risque va diminuer et maintenant être considéré acceptable. Par exemple, je veux faire du blood play, OK. La pratique comporte des risques inacceptables tels quels, mais comment les mitiger ? Je dois me renseigner sur les techniques, les procédures de secours de base, les interventions d'urgence et les maladies transmissibles par le sang. Une fois tout cela fait, le risque est acceptable. Bien sûr, le risque zéro n'existe pas, tout le monde le sait. Si quelque chose ne se passe pas comme prévu, on communique, on fait ce qu'on peut pour arranger les choses et on avance. Et le profil de risques sert aussi à savoir où ne pas s'aventurer quand le risque ne nous semble pas acceptable. Par exemple, dans notre relation, je me refuse tout coup porté au visage qui ne soit pas une gifle. Je trouve la zone beaucoup trop risquée, d'autant plus dans le cas de ma propriété qui est atteinte d'une maladie des tissus conjonctifs.

Quelle place a l'amour dans votre relation et comment s'exprime-t-il ?

On s'aime et pour moi c'est une condition nécessaire mais pas suffisante dans une relation avec un(e) partenaire de vie. L'autre condition est, sans grande surprise, que la relation tende vers la TPE. Maintenant, il faut avouer que si je n'aimais pas ma propriété, certaines choses seraient plus simples. Je ne suis certainement pas pardonnant en termes de sadisme pur,  en revanche je pense que je serais un peu moins frileux à lui imposer certaines choses dans le cadre d'une relation sans sentiments. Par exemple, j'aime aussi lui faire plaisir et lorsqu'elle désire quelque chose ce n'est pas toujours simple de lui résister, même quand je sais que c'est la chose responsable à faire.

Maintenant, comment s'exprime l'amour dans la relation ? Réponse clichée mais la violence et l'appartenance ferme sont une expression d'amour fondamentale chez nous. Cela dit, ce n'est pas parce qu'on est en dark dynamic qu'on ne fait que ça. Des actes souvent considérés "vanille" à tort, comme aller au resto, se balader ensemble... ce sont aussi des preuves d'amour n'en déplaise à certains puristes. Et en ce qui me concerne, j'aime beaucoup embrasser Jude. Donc je l'embrasse, même quand elle n'en a pas envie. Il y a un peu cette dualité dans tout finalement.

Concernant les dynamiques dark, quelles sont vos motivations personnelles à aller dans ces pratiques et qu'est-ce qui vous différencie d'une personne malsaine ou abusive ?

J'aime le pouvoir. Le sadisme, dans mon cas, est indissociable du pouvoir. J'ai ces tendances depuis que je suis très jeune. Peut-être que ça me donne un sentiment de sécurité, de contrôle, ça fait du bien à l'ego. C'est grisant. Et quant à ce qui me différencie d'un partenaire malsain ou abusif : nous sommes dans une relation dont tous les membres ont accepté les paramètres de manière libre et éclairée. Je n'aurais jamais cherché à imposer cette relation à qui que ce soit, que ce soit à Jude ou dans mes relations précédentes. Une personne abusive aurait eu des comportements manipulateurs et cherché à avoir du pouvoir sur l'autre rapidement plutôt que de l'obtenir au fur et à mesure du développement de la relation, organiquement et en étant à l'écoute de l'autre. Je ne me serais aussi jamais lancé là-dedans sans connaissances solides sur le sujet (typiquement, parler de la mitigation des risques). Et surtout, je veille à ce que ma propriété soit heureuse au long-terme. Si je me rendais compte que sa santé mentale déclinait, qu'elle avait constamment peur de moi, qu'elle ne trouvait tout simplement plus son compte là-dedans... alors il faudrait sérieusement remettre la relation en question.

Maintenant, pour éviter de tomber sur des personnes malsaines, c'est important d'être soi-même très renseigné(e) et lucide sur le BDSM. Ne pas hésiter avec le vetting. Poser des questions, demander comment la personne s'éduque et se forme au BDSM, savoir reconnaître les redflags (tels que exiger une relation M/e, CNC ou TPE directement). Pour moi les dark dynamics ne sont clairement pas quelque chose par lequel on démarre à moins d'être en face de quelqu'un de très expérimenté et d'être soi-même très expérimenté de ce type de relations. Et encore, certaines choses nécessitent une connaissance approfondie de l'autre qu'on ne peut pas acquérir en quelques semaines ou même mois. Et parfois, c'est aussi important d'écouter son instinct. Si la personne ne vous inspire pas confiance et que le sentiment persiste, passez à autre chose.

Avez-vous l'impression d'avoir beaucoup de charge mentale ou êtes vous globalement satisfait de l'organisation actuelle de votre relation ?

J'ai moins de charge mentale aujourd'hui et ça va en diminuant. J'ai appris moi aussi à lâcher prise sur des choses et déléguer plus de tâches à ma propriété. Au début je voulais tout faire et ce n'était pas tenable, d'autant plus que ça rentrait en conflit avec notre idée d'une M/e axée service. Aujourd'hui la relation s'est paradoxalement plus équilibrée depuis que le service n'est plus un aspect central de la relation. Après, bien sûr qu'une relation TPE reste supérieure en charge mentale à une relation vanille, tout en l'étant moins sur certains aspects. Par exemple, s'il faut prendre la décision sur un film, je choisis. C'est tout. Pas besoin de débattre de tout pendant des siècles. Pas besoin de chercher à se mettre d'accord. Je décide, point.

Qu'est-ce qui fait un(e) bon(ne) Propriétaire et sadique d'après vous ? Et une bonne propriété et masochiste ?

Un(e) bon(ne) Propriétaire et sadique pour moi, c'est quelqu'un qui sait se renseigner, se remettre en question et qui a une bonne gestion des risques. Il/elle doit aussi être à l'écoute, savoir communiquer et être honnête sur ses envies et attentes. Deux autres points importants : la constance et l'investissement. Sans ça, aucune relation D/s ne peut vraiment tenir au long-terme. Un petit conseil spécifique aux sadiques : faire du sport, du cardio notamment, parce que l'impact lourd à répétition ça fatigue. Au niveau des compétences, ça se résume à se renseigner et se former avec sérieux finalement. Un(e) bon (ne) sadique qui veut apprendre le fouet, il/elle apprendra comme il faut. Un(e) mauvais(e) sadique prendra un fouet et fera n'importe quoi avec. Et comme dirait oncle Ben dans Spiderman : "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités". Si vous infligez de la souffrance physique ou mentale à quelqu'un, sachez que ce n'est pas une blague. Ce sont des vrais douleurs avec des vraies conséquences.

Du côté de la propriété/masochiste, beaucoup de points se chevauchent avec le/la bon(ne) sadique et Propriétaire. Là aussi c'est important d'être renseigné, à mon sens ne pas suivre aveuglément le/la sadique ou Propriétaire, avoir un esprit critique sur la relation, être à l'écoute et bien communiquer ses attentes et envies... j'insiste sur l'importance de la lucidité chez une propriété. Pour avoir des chances que la relation fonctionne, il faut mesurer la quantité d'efforts demandés par une telle relation. Autant d'efforts de mise en place de la relation que de maintien de celle-ci. Donc là aussi, la constance et l'investissement sont très importants. Je trouve aussi qu'une propriété qui sait exprimer une opinion sans vouloir commander ou diriger, qui peut donner un conseil pertinent, c'est à la fois très sexy et très utile. Si l'on choisit de relationner avec des humains, ce n'est pas pour relationner avec des paillassons.

Pour ce qui est du/de la partenaire maso, je dirais les mêmes choses que ce qui a été dit au-dessus. Noter aussi qu'il/elle est aussi responsable de sa gestion des risques que le/la sadique. Et enfin, petit goût personnel : quelqu'un qui encaisse bien. C'est plus amusant, plus satisfaisant. Quant aux petits regards de victime, c'est vraiment la cerise sur le gâteau. Ou plutôt le glaçon dans le gin car je ne suis ni très cerise ni très gâteau.

Voilà pour cette interview ! J'ai apprécié que nous passions le cap de donner un peu plus la parole aux personnes dominantes dans la relation. Il y aura peut-être une autre interview un jour. En tout cas si vous avez d'autres questions à lui adresser, n'hésitez pas à le faire en commentaire ou par message privé sur le blog !